Un chiffre brut. Selon les études, 10 à 15 % des enfants manifestent des colères qui dépassent largement les habituels accès d’opposition de l’enfance. Cette réalité, souvent minimisée, bouleverse pourtant l’équilibre du foyer. Certains enfants expriment leur colère de façon intense, bien au-delà des colères passagères attendues pour leur âge. Selon les spécialistes, un trouble du comportement ne se résume pas à une simple opposition ou à des crises brèves, mais s’inscrit dans la durée et altère la vie familiale ou scolaire.
Le recours à un professionnel n’est pas systématique. Pourtant, ignorer des signaux répétés peut aggraver le mal-être de l’enfant et compliquer les relations avec l’entourage. Plusieurs options existent pour accompagner au mieux les familles confrontées à ces difficultés.
Pourquoi la colère est-elle si fréquente chez les enfants ?
La colère accompagne l’enfance comme une compagne bruyante et parfois imprévisible. Cette émotion, brute et intense, fait partie d’un processus normal, et même indispensable, de développement. Entre deux et quatre ans, le fameux “terrible two”, suivi du “fucking four”, marque une période charnière : l’enfant cherche à s’affirmer, gagne en autonomie et teste pour la première fois les limites qui lui sont imposées. À cet âge, le cerveau émotionnel prend le dessus tandis que le cortex préfrontal, chargé de la régulation et du contrôle, n’est pas encore mature.
La colère ne jaillit jamais au hasard. Elle s’allume sous l’effet de la frustration, un jouet refusé, une règle imposée, une envie contrariée. D’autres facteurs, comme la fatigue, la faim, un changement dans les habitudes ou l’environnement, agissent aussi comme des détonateurs. Un enfant privé de repères ou traversant une période d’anxiété voit alors sa tolérance aux contrariétés s’éroder. Pour certains, une sensibilité accrue ou la présence d’un trouble du comportement accentuent la fréquence et l’intensité des crises.
Voici les principales formes que peut prendre la colère chez l’enfant :
- Colère de décharge : l’enfant libère la tension amassée au fil de la journée.
- Colère liée à la frustration : il s’emporte lorsqu’il ne peut obtenir un objet ou un privilège convoité.
- Colère d’opposition : le fameux “non” qui affirme sa volonté propre et son désir d’autonomie.
La capacité à gérer ces émotions se développe peu à peu, au rythme de la maturation neurologique. Chaque crise de colère est une occasion d’apprendre, à condition d’être accompagné avec patience. Chez certains enfants, la colère devient un mode d’expression faute de mots suffisants. Parfois, elle sert d’indicateur précoce lorsqu’un trouble du spectre de l’autisme ou un autre trouble neurodéveloppemental est sous-jacent.
Reconnaître les signes d’un mal-être émotionnel chez son enfant
Prêter attention à la fréquence, l’intensité et la durée des accès de colère permet de distinguer ce qui relève du développement ordinaire de ce qui signale un véritable mal-être émotionnel. Un débordement ponctuel, après une longue journée ou suite à une frustration, n’a rien d’alarmant. Mais si la colère s’impose comme un mode de fonctionnement, si elle envahit le quotidien ou devient systématique, il est temps de regarder la situation de plus près.
Certains comportements appellent une vigilance accrue. L’enfant peut réagir de façon disproportionnée à la moindre contrariété, parfois jusqu’à se mettre en danger. On observe aussi des épisodes de retrait social ou une alternance entre moments d’explosion et phases d’apathie, qui peuvent révéler un état dépressif ou l’amorce d’un trouble du comportement. D’autres signes, comme une tristesse persistante, de l’irritabilité continue, ou une perte d’intérêt pour le jeu et l’interaction, complètent le tableau.
Pour clarifier ce qui doit alerter, voici quelques situations typiques :
- Refus répétés d’obéir, cris, insultes ou destruction d’objets
- Opposition passive ou active face à l’adulte
- Isolement, diminution de l’appétit, troubles du sommeil
- Peur intense, crises d’angoisse, plaintes physiques fréquentes (maux de ventre, maux de tête)
Lorsqu’un enfant multiplie ces signaux, la famille se retrouve souvent démunie. Le climat à la maison se tend, la relation parent-enfant s’étiole, et l’enfant s’enferme dans une spirale de mal-être. Prendre conscience de ces indices ouvre la voie à un accompagnement adapté, avant que l’installation de l’opposition ou de la tristesse ne s’ancre durablement.
Qui peut aider ? Le rôle des différents professionnels face aux troubles de l’humeur
Dès lors que les colères s’intensifient, se répètent ou s’accompagnent d’autres changements de comportement, chercher l’appui d’un professionnel de santé permet de mieux comprendre ce que traverse l’enfant. Le psychologue clinicien, souvent sollicité en premier, évalue la situation et propose un accompagnement psychothérapeutique à l’enfant et à la famille. Son regard permet de cerner l’origine des difficultés et de restaurer un dialogue apaisé.
Si les crises s’accompagnent de troubles du langage ou de difficultés dans les interactions sociales, il est judicieux de consulter un orthophoniste ou un psychomotricien. Ces professionnels identifient les éventuels troubles sous-jacents et mettent en place des stratégies pour mieux gérer l’expression émotionnelle ou corporelle.
Les enfants présentant des problématiques plus complexes peuvent être orientés vers un neuropsychologue qui affine le diagnostic, notamment sur le plan des fonctions exécutives et de la régulation émotionnelle. Ce spécialiste repère aussi les signes d’un trouble du spectre de l’autisme ou d’un trouble de l’attention. Si la situation l’exige, persistance de l’anxiété, comportement auto-agressif, repli profond, le pédopsychiatre intervient pour coordonner les soins, proposer un traitement médicamenteux ou une hospitalisation.
La prise en charge prend souvent appui sur plusieurs expertises complémentaires :
- Orthophonistes : accompagnement des difficultés de langage et d’expression
- Psychomotriciens : gestion des tensions corporelles, amélioration de la coordination et de la perception
- Ergothérapeutes : aide à l’organisation du quotidien et au développement de l’autonomie
Dans certaines familles, un médiateur familial peut aussi intervenir pour apaiser les tensions et restaurer la communication. Le médecin généraliste ou le pédiatre joue un rôle clé dans l’orientation vers ces différents spécialistes. Cette approche collective permet une prise en charge cohérente et adaptée à chaque situation.
Quelques conseils concrets pour accompagner votre enfant au quotidien
Restez le point d’ancrage. Quand la colère surgit, maîtrisez vos propres réactions : l’enfant, débordé, cherche inconsciemment la sécurité auprès de l’adulte. Évitez d’envenimer la situation ou de laisser vos mots dépasser votre pensée. Accueillir la colère ne veut pas dire tout tolérer : les repères doivent rester clairs, constants, compréhensibles.
Exprimez ce que vous percevez. Dire simplement « tu sembles très fâché, tu aurais préféré… » aide à mettre des mots sur l’émotion et montre à l’enfant qu’il peut la partager sans crainte. Le dialogue porte ses fruits après la crise, une fois la tempête passée.
Pour offrir des alternatives aux comportements débordants, il existe plusieurs outils simples à mettre en place :
- Boîte à colère : l’enfant y dépose un dessin ou un mot représentant ce qu’il ressent.
- Coussin de la colère : autorisez-le à frapper ou serrer un objet dédié, sans danger.
- Coin calme : un espace familier où il peut s’apaiser, respirer, faire une pause.
- Livres ou cartes sur les émotions pour l’aider à nommer ce qui le traverse.
Ritualisez les journées. Une routine stable offre des repères, réduit le stress et limite les débordements. Prévenez l’enfant à l’avance des changements, proposez-lui des choix adaptés (« tu veux mettre ce pull ou celui-là ? ») et valorisez chaque progrès, même modeste. Ce sont ces encouragements qui nourrissent sa confiance et sa capacité à mieux se maîtriser.
Invitez-le à tester des exercices de relaxation ou de respiration. Pour beaucoup, l’activité physique, le jeu ou une étreinte sont des moyens efficaces de dissiper la tension. Le contact rassure, et l’humour peut parfois désamorcer la montée de colère. Plus que jamais, la cohérence de l’entourage construit un environnement apaisant, propice à l’apprentissage de la gestion émotionnelle.
Face à la colère d’un enfant, aucun parent n’est seul ou démuni par principe. Derrière chaque tempête, une main tendue, une écoute attentive ou un professionnel engagé peut ouvrir la porte d’un apaisement durable. Rien n’est figé, tout reste à écrire, un pas après l’autre, sur le chemin d’une relation apaisée.


